[ Retour Sur ] Soirée Legal Design – La justice restaurative – approche et serious game

Le mardi 5 février dernier s’est déroulée, dans le cadre de notre programme Legal Design,  chez Open Law, une soirée spéciale consacré à la question de la Justice restaurative.

« La justice restaurative consiste à faire dialoguer victimes et auteurs d’infractions. Appelée parfois justice réparatrice, elle a pour but, selon des modalités diverses, d’envisager ensemble les conséquences de l’acte, et le cas échéant, de trouver des solutions pour le dépasser, dans un objectif de rétablissement de la paix sociale afin de prévenir au mieux la récidive. »

La réunion s’est déroulée en deux temps : une introduction sur la justice restaurative  a été proposée par Jean Baptiste Crabières, magistrat judiciaire, puis une scénarisation par un serious game promettait d’en comprendre le déroulement et le champ d’application possible : les Justes* R, jeu de rôle créé par Victor Ecrement, Etudiant designer à l’ENSCI-Les ateliers, lors du studio expérimental de legal design 2018 « Nul n’est censé ignorer la loi ».

Retour sur cette soirée animée.  

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Jean Baptiste Crabières est juge d’instruction, actuellement au bureau de la coopération de la délégation aux affaires européennes et internationales du Ministère de la Justice.

Jean Baptiste Crabières a eu l’occasion d’appliquer la justice restaurative. Selon lui, et si on en parle à un pénaliste un peu aguerri, il dira que c’est « une théorie  criminologique à la mode ». C’est évidement bien plus que cela. Quand on se pose la question de la justice restaurative, cela renvoie à des philosophies de droit pénal, de théorie de l’Etat, de philosophie du droit constitutionnel – derrière la justice restaurative se trouve la question sous-jacente :  «  à quoi sert le droit pénal» ?

Si l’on se met dans la peau du Prince de Machiavel, considérons qu’il y a un État à organiser donc nous allons mettre en place des règles, des interdits. Certains de ces interdits vont paraître tellement fondamentaux que l’on va édicter des sanctions. Ces sanctions sont des peines. Par exemple en édictant :« tu ne tueras point » : les personnes qui ne respecteront pas cette règle seront passibles de sanction. On se pose donc la question de la fonction de la peine. Historiquement, en criminologie du droit, on distingue trois fonctions classique de la peine :

  • 1 – La punition : une fonction quasi morale d’expiation, la peine est un châtiment destiné à faire souffrir le délinquant en retour de la souffrance qu’il a fait subir. Plus le mal est grave, plus la souffrance infligée en retour sera élevée. C’est la fonction la plus évidente d’expiation de la peine – on la retrouve dans la loi du talion (Œil pour œil, dent pour dent). On aurait tort de considérer cette première fonction de la peine comme un archaïsme. En réalité, si la loi du talion a un volet négatif (la sanction, l’expiation que l’on inflige à la personne qui a commis un crime), elle a aussi un volet positif, qui fonde le droit pénal moderne : l’idée que l’on peut être quitte, c’est la fin de la vengeance sans fin. C’est la fin de la vendetta, c’est l’idée que l’on apaise un conflit pour apaiser l’ordre social.
  • 2 – La dissuasion : Elle a commencé à être théorisé au 18ème siècle. L’idée c’est que la peine fait peur, elle a une fonction de dissuasion et donc on va éviter de passer à l’acte et de commettre des infractions parce qu’on a peur de la peine que l’on peut encourir.
  • 3 – La fonction de rédemption : C’est une fonction plus moderne, qui apparaît au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’idée est que la peine, c’est aussi l’occasion de réadapter le délinquant ; de l’aider à construire un nouveau mode de vie dans lequel il n’aura plus à commettre d’infractions. C’est le moment où l’on a commencé à théoriser le « délinquant d’habitudes ». La prison est un facteur de récidive et il faut donner un sens supplémentaire à la peine. Cela peut prendre différentes formes, comme passer des diplômes en détention afin d’éviter la récidive.

Pas une seule fois, pour le moment, nous avons parlé de la victime dans ces trois fonctions classiques de la peine. En effet, le droit pénal est fondé sur un dialogue entre l’auteur et la société, entre l’auteur et l’État donc la victime n’est pas présente. Cette idée qu’il faut prendre en compte la victime est une idée récente, avec la justice restaurative c’est presque un « trilogue » entre la victime, l’Etat et la société.

La justice restaurative c’est « tout ce qui a d’abord pour fonction de restaurer le mal qui a été causé à la victime par l’infraction » – cela part d’abord du préjudice subi. Bien sûr, à travers l’infraction, on viole des interdits fixés par l’Etat, mais on viole aussi des interdits qui montre quelque chose de brisé entre la victime et l’auteur. On se pose la question « comment pouvons-nous aider la victime à guérir ?». C’est l’idée d’amener la victime à la résilience et guider également l’auteur des faits sur le même chemin (concept de Boris Cyrulnik). On retrouve la justice restaurative dans ses origines au Canada, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis  (elle serait le fruit indirect de la lutte pour les droits civiques), Nous sommes sur une théorie jeune, qui est en construction, les théoricien ne sont pas toujours d’accord entre eux sur les contours, sur la définition. En France, c’est une théorie neuve.

Il y a une vision maximaliste de la justice restaurative : elle va se substituer à la peine. Jean-Baptiste Crabières est partisan d’une justice restaurative a minima ou minimaliste, qui se rajoute aux fonctions traditionnelles de la peine. Il rappelle que c’est en 2014 que la justice est rentrée dans le droit positif et dans les juridictions. Un exemple : en matière d’accidents de la route, la justice restaurative va constituer à mettre autour d’une table, des auteurs d’accidents involontaires et des victimes.  Au-delà de la dimension pénale, cela aide à prendre un chemin de résilience.

Pour conclure et pour reprendre Georges Bernard Shaw: « si tu as une pomme, que j’ai une pomme, et que l’on échange nos pommes, nous aurons chacun une pomme. Mais si tu as une idée, que j’ai une idée et que l’on échange nos idées, nous aurons chacun deux idées« .

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Après cette première partie, C’est au tour de Victor Ecrement, Étudiant designer à l’ENSCI de prendre la parole. Il nous explique sa réflexion concernant la justice et ce qui l’a poussé à s’intéresser précisément à ce sujet lors du studio expérimental legal design « Nul n’est censé ignorer la loi » du semestre dernier.
L’ idée : créer un jeu de rôle pour simuler des situations de justice restaurative

Au début, il s’intéresse aux modes de procès alternatifs, estimant que les procès ont l’air très structurés et ritualisés , puis petit à petit il s’intéresse à la justice restauratrice. Il constate que c’est une pratique peu unifiée.

Après ses premières recherches sur la question, il constate qu’il existe deux versions de la justice restaurative :

  • minimaliste (possibilité d’appliquer la justice restaurative à des faits prescrits) c’est un soutien au système actuel
  • maximaliste: une véritable alternative au système actuel.

Un nom revient souvent, celui de Lode Walgrave. En Europe, ce celèbre criminologue est l’un des chefs de file de ce mouvement de justice. Il publie notamment un article (disponible ici ) intitulé La justice restaurative : à la recherche d’une théorie et d’un programme.

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Pour Lode Walgrave, passer à un système de justice restaurative permettrait de passer à une forme de procès restauratif, mais quid du déroulement concret ?

Il y a là une entrée pour un designer d’où le nom du projet de Victor : Les justes r : le nom est tiré d’une pièce d’Albert Camus et le « r » correspond à tous les adjectifs donnés : restaurative, restauratrice, réparatoire etc.

Il y a eu deux dimensions de recherche :
    • Comment soulever des questionnements éthiques tout en fournissant des données expérimentales ?
    • Comment améliorer le dispositif à chaque essai ?

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Sur le dispositif du jeu il y a :

  • la fiche justice restauratrice
  • les fiches acteurs
  • la fiche résumé du contexte et des protagonistes
  • le schéma de répartition du pouvoir
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Un premier essai du serious game a été effectué lors du semestre dernier

Sur les retours  du 1er essai on peut noter :

  • la difficulté des joueurs à demander des revendications → instauration de cartes de revendications
  • la position du médiateur qui est à retravailler
  • l’introduction d’un déroulé qui découpe le procès en des temps distincts au sein d’une partie
  • l’introduction de cartes « communauté » pour que chaque membre de la communauté puisse écrire et réfléchir à son histoire et sa position par rapport aux protagonistes
  • Un projet de site internet avec des données qualitatives et quantitatives (pas encore développé)

Victor nous explique comment va se dérouler le serious game, et l’application de son dispositif. Nous commençons alors la partie.

La suite en image !
Un très grand merci à tous les participants et intervenants de cette soirée !  

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victor
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