Le 2 juillet dernier, Open Law* Le droit ouvert lançait une réflexion sur les enjeux de l’open science (science ouverte) en droit. L’objectif annoncé était de présenter la problématique et de dégager des axes de réflexion afin de faire avancer le sujet et de créer une communauté en droit susceptible de s’en emparer. Les échanges qui ont suivi les présentations des intervenant.e.s ont montré la nécessité pour la communauté universitaire (majoritaire parmi les participant.e.s) de s’approprier tant les concepts que les outils et moyens de mise en oeuvre de l’open science.
Benjamin Jean, président de l’association et du fonds de dotation Open Law, a rappelé l’engagement des deux structures en faveur de l’open science, notamment via le programme Open Doctrine et son prix de thèse en accès libre, le Prix Open Thèse. Il a rappelé l’importance de la collaboration entre les acteurs (chercheurs, éditeurs…) et la place des projets menés dans le Plan Science ouverte (CoSo). Il a aussi affiché sa volonté d’être moteur du mouvement en créant divers groupes de travail : ouverture de la recherche juridique, travail autour des licences, articulation entre la démarche éditoriale traditionnelle et l’importance de la visibilité des travaux, etc. L’enjeu est de taille, car une meilleure diffusion de notre culture juridique française sur l’échiquier international.
Jean Gasnault, Secrétaire général adjoint du Diplôme d’Université Droit et Informatique (Paris I) et chargé d’enseignement “Documentation juridique” (Paris II) a ensuite évoqué le programme Open Doctrine d’Open Law*, qui se veut une réflexion globale de l’open access dans le milieu de la recherche juridique. Porteur du Prix Open Thèse, Jean Gasnault a ainsi pu exposer les problématiques auxquelles il a été confrontées depuis la genèse du projet, remontant des éléments contextuels significatifs en ce qui concerne la recherche en droit (usages universitaires, dépendance aux éditeurs, manque d’acculturation aux enjeux numériques – dont la problématique du référencement des revues juridiques universitaires en open access, actuellement moins bien indexées que les revues payantes – et open science…). D’où l’importance du programme Open Doctrine et la nécessité de mobiliser la communauté pour créer des groupes de travail autour de sujets clés : sensibilisation au dépôt ouvert, question des licences, outils d’Impact Factor (nombre de citations dans d’autres travaux) etc.
Julien Hering, fondateur de Tree of Science, a ensuite ouvert le sujet en partageant son expérience d’accompagnement de jeunes chercheurs et chercheuses dans l’open science. Il a souligné les nombreux avantages de cette approche, tant dans la phase de recherche elle-même que dans la diffusion des travaux – échanges, transparence, interdisciplinarité, accès facilité, réutilisation – souvent permis par le numérique (science 2.0, web 2.0, 3.0, communautés de pairs, etc.). La production de savoir sous toutes ses formes profite alors au plus grand nombre (pairs, décideurs, entreprises, citoyens, gouvernements, organisations diverses) et ouvre le champ des possibles.
Celya Gruson-Daniel, en tant que représentante d’HackYourPhD, a clos les interventions. L’association a, depuis 2013, assisté à l’évolution des différentes voix du libre accès (open access) aux publications des travaux scientifiques (archive ouverte, revues, autres modèles) tout autant que l’importance croissante donnée à la thématique de l’open science. L’approche de plus en plus pro-active des institutions, notamment de l’Union européenne a fait de l’Open Science un des grands objectifs de recherche notamment via le programme H2020 ou plus récemment la coalition-S (PlanS). En France, la mise en place du Comité pour la Science ouverte (CoSo) en juillet 2018 marque aussi une prise de position institutionnelle forte sur ce sujet. Celya Gruson-Daniel a mis en avant la multitude d’initiatives et de normes qui se mettent en place pour favoriser l’open science au sein des instituts avec néanmoins des lignes directrices orientées sur l’accès aux publications scientifiques et aux données (aspect techniques, économiques) mettant de côté d’autres sujets plus engagés sur les relations science/société et la gouvernance plus globale de la production des savoirs (recherche participative et inclusion d’autres savoirs, connaissances comme communs).
La communauté juridique a dans cette transition, d’une part, un rôle très important à jouer pour discuter des questions techniques des licences et de l’évolution nécessaire plus générale du cadre juridique avec les technologies numériques. Tous ces enjeux techniques ne doivent pas faire oublier, d’autre part, la question de la co-production des savoirs (interdisciplinarité), et la nécessité pour la recherche d’être pensée au-delà du milieu académique à proprement parler, pour être véritablement “ouverte”. En ce sens, il s’agit de questionner la place de la logique coopérative au sein de la recherche, afin d’ouvrir la communauté de chercheurs à d’autres acteurs, questionner les rapports savoir/pouvoir et ainsi l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche aujourd’hui.
Les intervenant.e.s et les participant.e.s (enseignants et documentalistes universitaires, avocats…) ont ensuite échangé sur le contenu des interventions et leurs propres expériences et besoins soulignant ainsi que nombre d’idées préconçues sur l’Open Science et l’Open Access persistent dans le milieu scientifique et universitaire.
La question de la protection du travail des chercheurs, en premier lieu, a été évoquée afin de mettre à mal le préjugé selon lequel une thèse en accès libre est plus simple à plagier : dans les faits le plagiat est plus facile à repérer lorsque la thèse est librement accessible et référencée.
Autre préjugé : le frein que constituerait l’open access à la publication papier d’une thèse et donc à une évolution de carrière universitaire au sein des écoles doctorales en sciences humaines et sociales, et particulièrement en droit. Un groupe de discussion doit être formé avec les éditeurs pour clarifier cette question et repenser les modèles économiques.
À ce sujet, les participant.e.s ont émis plusieurs suggestions : une meilleure rémunération des chercheurs, l’inclusion des coûts de publication dans les financements de recherche en droit, les solutions d’édition en ligne open access à faibles coûts, le crowdfunding, les nouvelles plateformes de publications, etc. Il apparaît aussi nécessaire, en sciences humaines et sociales, de ne pas laisser les instruments de mesure des citations uniquement aux acteurs privés, voire de mettre en oeuvre des outils publics à fonctionnement transparent.
Certains outils tels que Sherpa-Romeo ou Héloïse (pour les SHS francophones) permettent de connaître aisément la politique éditoriale des revues et les conditions de mise en libre accès. Ces sites sont utiles, car parfois les chercheurs et chercheuses se limitent eux/elles-mêmes dans la mise à disposition de leurs publications, ne connaissant pas les politiques éditoriales des éditeurs qui dans les meilleurs des cas permettent d’archiver les versions post-print ou même la version de l’éditeur (couleur verte sur sherpa/romeo). Les chercheurs et chercheuses français.e.s ignorent aussi encore trop souvent leurs droits. Avec la loi pour une République Numérique, promulguée en 2016, toute personne a le droit de mettre à disposition ses publications scientifiques (si financées au moins pour moitié par la recherche publique) après une durée d’embargo de 6 mois (STM) ou 12 mois (SHS).
Les interventions et discussions ont ainsi mis en lumière le fait que la plupart des problématiques liées à l’Open Science sont transversales aux différentes disciplines, bien que certaines pratiques propres à la filière juridique constituent autant d’obstacles supplémentaires à sa mise en oeuvre. Les grandes thématiques abordées (licences, typologie des plateformes, modèles économiques, usages universitaires…) appellent à créer des groupes de réflexion larges, inclusifs et collaboratifs pour faire progresser l’open science….
A vos agendas !
- Le Village de la LegalTech sera l’occasion pour l’association et le Fonds de dotation Open Law de promouvoir l’accès libre aux travaux scientifiques à travers diverses actions qui se dérouleront en marge de la remise des prix Open Thèse, le 26 novembre 2019. Toutes les personnes intéressées sont invitées à venir échanger avec nous lors de cet événement qui sera suivi de la constitution de groupes de travail, avec pour objectif de proposer des solution concrètes pour l’année 2020 !
- Le 17 octobre 2019, le Fonds de dotation Open Law et l’association présenteront de concert le projet Open Thèse à Lille dans le cadre de la Fabrique de la science ouverte. Sera aussi présenté le projet “Remix ta thèse” sur l’accessibilité de travaux scientifiques juridiques, et qui se déroulera en mars 2020.
- De février à octobre 2020 se déroulera le programme de recherche Convergences du droit et du numérique, programme mêlant droit et numérique de l’Université de Bordeaux dont les travaux collaboratifs et multidisciplinaires seront mis en accès libre.